Les études quantitatives en ligne
par Yves Chirouze, février 2002
Les études quantitatives en ligne : techniques, coûts et conseils méthodologiques
par Yves CHIROUZE
L'Agora de la Cybermercatique, février 2002
Avec le développement des études marketing réalisées par Internet, la distinction classique entre les techniques qualitatives et les techniques quantitatives semble s'imposer aux techniques d'études en ligne. Le " cyberquali " comprend des techniques telles que la réunion par Internet et l'exploitation des forums de discussion (J. de Ferran et Y. Chirouze, 2001) alors que le " cyberquanti " repose sur des techniques comme le cybersondage, le cyber-recensement ou le cyberpanel dont l'objectif est de dénombrer ou d'estimer les caractéristiques d'une population.
I- La pratique des enquêtes en ligne en France
DirectPanel, une start-up fondée en Août 2000, spécialisée dans le développement de solutions technologiques pour la réalisation de sondages en ligne, a réalisé, du 27 novembre au 6 décembre 2001, une enquête en ligne, par questionnaire auto-administré, auprès de 36 responsables " Etudes " sur les pratiques et l'avenir des études marketing en ligne en France.
Bien que l'échantillon soit faible et que les résultats aient été présentés en pourcentages alors que le nombre de répondants est inférieur à 100, cette étude, l'une des premières sur ce thème, mérite une présentation et quelques commentaires :
- 52,8% des responsables " Etudes " français ont déjà réalisé ou commandé des études en ligne au cours de l'année 2001
- Parmi les 47,2% restants, 84,7% déclarent être prêts à en réaliser dans les trois prochaines années.
Ces deux résultats sont en soi très favorables aux cyberenquêtes : plus de la moitié des responsables " Etudes " sont déjà des utilisateurs des méthodes en ligne, et moins d'un sur 10 est encore réticent à les employer dans l'avenir.
De plus, près des deux tiers de ces responsables considèrent qu'Internet va permettre de réaliser des types d'études qui n'étaient pas envisageables avec les méthodes classiques " off line ".
Autrement dit, les cyberenquêtes ne concurrencent pas les autres approches, elles peuvent, au contraire, les compléter à la fois en termes de problématique et de méthodologie.
Certains sujets, univers ou thèmes de recherche sont plus faciles à étudier en ligne, des ressources étant, par cette voie, plus accessibles et les méthodologies moins lourdes à mettre en œuvre.
Ainsi, Directpanel a montré à l'occasion du salon SEMO 2001, du 4 au 5 décembre 2001, que le mode de recueil en ligne est souvent utilisé par les responsables " Etudes " en combinaison avec d'autres méthodologies de première main.
- 52,6% des responsables Etudes, en France, utilisent les études en ligne en complément avec d'autres méthodes de recueil
- Un tiers d'entre eux les utilisent plutôt seules dans un cadre méthodologique spécifique bien distinct.
Par ailleurs, les cyberenquêtes et autres études en ligne sont appréciées par les responsables français d'études marketing pour deux raisons principales : leur coût et leur rapidité.
Parmi les avantages cités par les responsables interrogés par Directpanel :
- 57,9% concernent la réduction des coûts
- 36,8%, la réactivité du dispositif de mise en œuvre
- 26,3%, la possibilité d'interroger des personnes aux profils spécifiques ou rares, voire des individus dispersés géographiquement dans le monde entier.
II- Avantages et inconvénients du cyberquanti
Comme toutes les autres méthodes de collecte d'informations " quanti " et " quali ", les cyberenquêtes n'ont pas que des avantages aux yeux des responsables d'études.
La limite la plus souvent citée n'étonnera personne : la faible représentativité des échantillons, notamment liée au toujours insuffisant taux de pénétration d'Internet dans les foyers français. Difficulté provisoire car identique à celle que les chargés d'études ont longtemps connu, en France, pour développer les sondages par téléphone à une époque, maintenant lointaine, où la France avait un retard considérable par rapport aux autres pays développés en matière d'équipement téléphonique.
La représentativité de l'échantillon dépend essentiellement de la méthode d'échantillonnage utilisée, qu'elle soit probabiliste ou empirique.
Deux cas de figure co-existent :
- soit le questionnaire auto-administré est " placé " sur un site dans l'attente d'être rempli par qui le voudra bien et la représentativité de l'échantillon d'arrivée devra être assurée par le respect de quotas établis à l'image de la population à étudier,
- soit le questionnaire est adressé à un échantillon pré-constitué, de départ, dont les membres ont été tirés au hasard (méthode d'échantillonnage probabiliste) ou choisis avec raison (méthode d'échantillonnage empirique dont la célèbre méthode des quotas).
Dans le premier cas, la représentativité de l'échantillon sera loin d'être garantie, même avec de multiples précautions et des tris a posteriori, voire un redressement d'échantillon.
Concrètement, après avoir identifié les visiteurs d'un site - éventuellement attirés par une bannière publicitaire, une annonce dans un forum de discussion ou dans une liste de diffusion - ou les visiteurs arrivant sur sa page d'accueil (" homepage ") ou les visiteurs d'une partie spécifique du site (produit, service, rubrique…) ou encore les visiteurs qui quittent le site, il est possible de les interroger par un lien URL d'invitation, une bannière ou un pop-up d'interception. Aussi, s'agira-t-il souvent plus d'un " test quantitatif " pour mettre en évidence des tendances que d'un sondage pour estimer des caractéristiques.
Dans le deuxième cas, il n'y a aucune raison que la représentativité de l'échantillon soit mauvaise si la base de sondage est exhaustive, dans le cas d'un sondage probabiliste, ou si le plan de sondage par quotas est correctement construit et parfaitement respecté.
Le plus souvent, les enquêtes sont effectuées auprès d'individus dont les coordonnées et profils sont fournis par l'entreprise qui commande l'enquête.
Il suffit d'importer le fichier d'adresses e-mail du commanditaire composé des personnes à interroger : clients, individus ayant rempli une demande de documentation, employés, abonnés, actionnaires, fournisseurs, partenaires, participants à un jeu, concours ou loterie, organisé par l'entreprise, etc.
Selon les objectifs de l'étude et la taille de la population, il est même possible soit de procéder à un recensement, c'est-à-dire d'adresser un questionnaire à toutes les personnes du fichier, soit de procéder à un sondage en prélevant, par tirage au sort ou par choix raisonné, dans le fichier, un échantillon d'individus auxquels un questionnaire sera adressé par e-mail.
En simplifiant pour résumer, le cybersondage consiste donc à administrer des questionnaires par Internet, soit par affichage sur un site, soit par courrier électronique. Dans le premier cas, nous parlerons de cybersondage passif, dans le deuxième de cybersondage actif.
1- Les avantages du cybersondage
- la vitesse avec laquelle les réponses sont transmises,
- la possibilité d'interroger des individus du monde entier,
- le coût faible voire presque nul si l'enquête est faite par l'entreprise elle-même. Le prix facturé par les sociétés spécialisées se situe entre 1 € et 4 € par questionnaire rempli,
- la possibilité de procéder à de nombreuses relances sans risque de surcoût important,
- le taux de réponse est assez élevé bien que variable selon la qualité du questionnaire (fond et forme) et selon le fichier utilisé. Si ce dernier est constitué d'individus ayant un lien affectif et/ou de " subordination " avec l'entreprise ou l'institut d'études, le taux de réponse peut être très élevé : de 20 à plus de 75%. Si, en revanche, le fichier est composé de personnes peu impliquées, le taux de réponse est comparable à celui d'une enquête postale, soit de 8 à 13%. Mais, comme l'écrivent Galan et Vernette (2000) : " d'une façon générale, le taux de réponse dépend de l'intérêt de l'étude perçue par le répondant ",
- la saisie automatique et la gestion intégrée des données, en temps réel.
2- Les inconvénients du cybersondage
- la représentativité de l'échantillon d'arrivée est loin d'être assurée surtout lorsque le questionnaire est affiché sur un site et non adressé par e-mail (courrier électronique),
- le questionnaire doit être plutôt court, composé au plus d'une vingtaine de questions et prenant 5 à 15 minutes grand maximum à l'internaute, à moins de récompenser le répondant par des cadeaux, des places de cinéma gratuites, etc.,
- le questionnaire doit être aussi scrupuleusement rédigé qu'un questionnaire postal. Il est, comme lui, auto-administré. Il respecte la structure en entonnoir, des questions les plus générales aux plus précises. Les questions signalétiques se situeront en fin de questionnaire et les questions ouvertes seront à éviter,
- la qualité des répondants et celle des réponses ne sont pas assurées : l'anonymat est plus grand que par téléphone ou par courrier, ce qui provoque certaines dérives..,
- les recommandations de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés, CNIL, et la réglementation européenne interdisant le spamming qui limitent les possibilités de récupération de fichiers et les utilisations des adresses e-mail,
- le taux d'accès à Internet des ménages français encore insuffisant pour assurer la validité externe du sondage.
III- Le cyberpanel
Le cybersondage actif nécessite la possession d'un fichier d'adresses e-mail de la population à étudier.
Or, toutes les entreprises n'en possèdent pas, notamment celles qui débutent leurs activités et qui n'ont même pas un fichier clients ou un fichier d'abonnés à une " newsletter " pour constituer leur échantillon.
Dans une telle situation en " hors ligne ", les chargés d'études pensent généralement à la solution du panel et/ou de l'enquête omnibus. Ils peuvent, dorénavant, y penser également en ligne.
Ce que Galan et Vernette (2000) prévoyaient après avoir comparé la situation aux Etats-Unis avec celle de l'Europe est devenu réalité : " Aux Etats-Unis, la constitution de panels d'internautes représentatifs de la population est un enjeu stratégique pour les instituts d'études….Ces panels constituent une base de sondage ajustable aux différents objectifs des études, capable de répondre de fréquents questionnaires. En Europe, le mouvement prend corps et certains instituts bâtissent de tels panels d'internautes ".
C'est le cas de Directpanel qui propose un panel de plusieurs milliers d'internautes qualifiés, grâce à un questionnaire de 150 questions, pour atteindre des populations ayant exactement le profil recherché.
Directpanel offre, en outre, une bonne capacité de ciblage grâce à plus de 1 000 critères de qualification B2B et B2C. L'entreprise qui fait appel aux services de Directpanel reste toutefois autonome : " Accessible directement depuis un PC connecté à Internet et simple d'utilisation grâce à sa méthodologie et à son processus unique en étapes structurées, simples et intuitives, directpanel.com est conçu pour permettre au plus grand nombre de réaliser eux-mêmes des études de qualité. " Le chargé d'études maîtrise " le temps de conception de son étude et obtient les résultats en quelques jours. "
L'un des atouts d'un cyberpanel est de permettre de réaliser des économies importantes : " L'automatisation maximum du processus d'enquête grâce à Internet permet de faire économiser jusqu'à 80% du prix des études".
Le prix " moyen " d'une étude réalisée sur directpanel.com est d'environ 2300 euros. L'entreprise cliente paye, pour chaque étude réalisée, un prix déterminé en fonction de 2 ou 3 critères :
- la longueur et la complexité du questionnaire
- le nombre de personnes interrogées
- la rareté de la cible interrogée
Par exemple, une enquête sur une population non ciblée, avec un questionnaire de 10 questions, auprès d'un échantillon de 800 personnes, sera facturée 2363 euros. Pour un échantilon de 1000 répondants, elle s'élèverait à 2858 euros Une enquête réalisée auprès d'hommes se connectant à Internet par le câble, autrement dit auprès d'une cible plus rare, sera plus coûteuse pour une taille d'échantillon et un nombre de questions identiques.
Le cyberpanel a deux autres avantages non négligeables par rapport au cybersondage :
- en premier lieu, celui de générer un taux de réponse très élevé, ce qui assure la représentativité de l'échantillon d'arrivée,
- en second lieu, celui de permettre l'administration de questionnaires plus longs comprenant parfois plus de 30 questions.
Tout cela est possible grâce au recrutement de personnes volontaires et aux méthodes de motivation des panélistes ; par exemple, par l'attribution de points-cadeaux " webmiles.fr " ou à l'organisation de loteries.
Enfin, les cyberpanels respectent, généralement, pour garantir la validité de leurs résultats, des règles de gestion strictes, notamment : - la mise à jour obligatoire des profils des panélistes, - une sollicitation mensuelle des panélistes limitée, par exemple, quatre fois par mois maximum.
IV- Quelques conseils pour bien utiliser le cyberquanti
Le cyberquanti n'est pas la solution méthodologique à toute étude marketing. Il est mieux adapté à certaines situations qu'à d'autres. En outre, comme pour toute enquête quantitative, le respect de quelques règles lors de la rédaction du questionnaire et le test de ce dernier avant sa mise en ligne sont une nécessité pour s'assurer de la qualité des estimations.
1- Les situations d'étude les plus propices à un cyberquanti
Le cyberquanti qu'il soit mis en place par l'entreprise elle-même ou par un institut de sondage et/ou de panel auquel elle l'a confié est particulièrement conseillé lorsque la problématique relève de la connaissance ou de l'utilisation d'Internet et des nouvelles technologies. Il l'est également quand la population à étudier est composée de personnes plutôt mieux équipées en informatique et plus intéressées par Internet que la moyenne de l'ensemble de la population du pays (les jeunes, les cadres, etc.).
Les objectifs d'un cyberquanti peuvent être très divers. Il peut s'agir de :
- tester un nom de site, une marque d'un produit, etc.,
- de mesurer le taux de notoriété d'une marque, spontanée ou assistée, ou d'un site,
- de procéder à un post-test publicitaire après une campagne " off line " ou en ligne,
- de réaliser une étude d'image, une étude de positionnement,
- d'effectuer une étude de satisfaction,
- d'estimer le taux d'intention d'achat d'un bien ou d'un service,
- de déterminer le prix psychologique d'un produit,
- d'évaluer les points forts et les faiblesses d'un site Internet, d'une newsletter ou de tout objet connu des personnes interrogées,
- de procéder à un test avant de lancer une opération nationale d'e-mailing, etc.
En conséquence, la liste des sujets pouvant être traités par un cyberquanti est illimitée, l'une des principales conditions du succès étant que le questionnaire soit bien rédigé.
2- Les conseils de rédaction d'un questionnaire administré par Internet
Les conseils généraux pour la rédaction d'un questionnaire d'enquête par sondage sont, bien sûr, à respecter quel que soit le mode d'administration adopté. Toutefois, des spécialistes du cybersondage ont établi une check-list de recommandations pour les rédacteurs des questionnaires administrés par Internet.
CHECK-LIST :
1) La définition du problème
- je connais parfaitement les objectifs de l'enquête
- je connais la population-cible du questionnaire
- je me fais des tableaux d'analyse factices pour voir si les résultats espérés répondent au problème de recherche.
2) La détermination de la structure du questionnaire
a) La prise de contact
- j'explique clairement la finalité, l'utilité et l'importance de l'étude pour l'enquêteur
- je présente le sujet de l'enquête
- j'annonce la longueur et le temps pour répondre
- je respecte ma promesse de confidentialité
- je présente mes remerciements et propose des cadeaux
b) Le corps du questionnaire
- je constitue un plan du questionnaire par thèmes
- je regroupe les questions selon les thèmes
- j'utilise des phrases de transition entre deux thèmes
c) La fiche signalétique
- je mets la fiche signalétique à la fin du questionnaire
- je pose des questions pour expliquer le phénomène étudié
- je demande les coordonnées des enquêtés pour leur envoyer les résultats et les cadeaux
3) Le choix de la forme des questions
- j'utilise les questions ouvertes quand je ne connais pas, a priori, les réponses possibles
- j'évite de proposer trop de réponses prédéterminées
- j'évite que la réponse " je ne sais pas " ne soit qu'une facilité donnée au répondant
- j'indique clairement la façon de répondre aux questions : cocher ou entourer la réponse.
Une fois rédigé, le questionnaire d'un cyberquanti, comme tout questionnaire quel que soit son mode d'administration, doit faire l'objet d'un test auprès de dix à vingt personnes.
Ainsi, Directpanel.com propose aux entreprises qui font appel à ses services de procéder à un test " sur un échantillon de 10 personnes. Les prix varient entre 2 500 et 4 000 F ". La méthodologie utilisée pour le test du questionnaire combine généralement du " on-line " et du " off-line ".
D'aucuns s'étonneront que le test du questionnaire soit cher par rapport à l'enquête en ligne proprement dite (en moyenne 2 300 euros, soit 15 000 F).
N'est-ce pas la démonstration de l'intérêt des études quantitatives par Internet et de leur probable très grand avenir ?
BIBLIOGRAPHIE ET WEBOGRAPHIE :
- Aragon (Yves), Bertrand (Sandrine), Cabanel (Magali) et Le Grand (Hervé), Méthode d'enquêtes par Internet : Leçons de quelques expériences, Décisions Marketing, N°19, Janvier-Avril 2000
- Chirouze (Alexandre) et Chirouze (Yves), Introduction au marketing. Initiation à la cybermercatique, Editions Foucher, 2001
- DirectPanel, documents internes, w3.directpanel.com
- de Ferran (Jérôme) et Chirouze (Yves), Scruter le web invisible, Revue Francophone de Management Electronique, N°3, w3.cyber-gestion.com, octobre 2001
- de Ferran (Jérôme) et Chirouze (Yves), Le cyberquali : Etudes d'image et enquêtes de satisfaction, Revue Francophone de Management Electronique, N°4, w3.cyber-gestion.com, février 2002
- Galan (Jean-Philippe) et Vernette (Eric), Vers une 4ème génération : les études de marché " on-line ", Décisions Marketing, N°19, Janvier-Avril 2000.
- La lettre du marketing, Etudes marketing en ligne, w3.lalettredumarketing.com, 22 janvier 2002
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